Le mythe de la classe moyenne africaine

Mouhamadou Niang
Apr 02, 2025Par Mouhamadou Niang

On parle d’elle. On rêve d’elle. On vend pour elle. Mais… existe-t-elle vraiment ?



L’obsession des économistes



Depuis plus de 15 ans, elle revient dans toutes les conférences, dans toutes les études, dans tous les pitch decks d’investisseurs étrangers :

la fameuse “classe moyenne africaine”.


Elle est présentée comme la promesse.

Le moteur.

Le cœur du futur africain.

Les rapports la quantifient. Les marques la ciblent. Les États l’annoncent.

Mais personne ne sait vraiment qui elle est, où elle vit, ce qu’elle pense, ni même si elle existe.


Et si cette classe moyenne était, en réalité, un mirage bien utile ?



L’illusion des chiffres



Une des définitions les plus utilisées par les institutions internationales considère comme “classe moyenne africaine” toute personne gagnant entre 2 et 20 dollars par jour.


Deux à vingt.

Le même écart qu’entre l’ombre et la lumière.

Et sur cette base, on a construit des stratégies, des discours de croissance, des ambitions politiques.


Mais cette classe-là n’est pas moyenne.

Elle est précaire, vulnérable, soumise au moindre choc.


Un petit commerçant de Thiès disait récemment :



“On me classe comme classe moyenne parce que je gagne 100 000 FCFA. Mais si ma fille tombe malade, je deviens pauvre dès demain.”



« La case en banco a belle allure jusqu’à la première pluie. » — Proverbe wolof


L’obsession du milieu


Ce fantasme d’une “classe moyenne” vient souvent de l’extérieur.

Il rassure. Il cadre. Il permet de faire des graphiques.


Mais l’Afrique n’a jamais fonctionné sur la logique du milieu.

Elle a toujours été rythmée par des systèmes plus fluides, interdépendants, collectifs.

Dans beaucoup de familles :

• Un seul salarié nourrit 7 ou 8 personnes.

• Un propriétaire de taxi vit mieux que certains cadres.

• Un tailleur indépendant envoie ses enfants étudier à l’étranger.


Mais dans les rapports économiques… tout cela n’existe pas.

Parce que c’est trop complexe à modéliser.


« Le fleuve a mille bras, mais on n’en mesure que deux. » 


Une classe moyenne de façade


Ce que les analystes appellent “classe moyenne” en Afrique, c’est souvent une apparence de confort.


Crédit à la consommation. Téléphone dernier cri. Abonnement à Netflix. Enfants dans une école privée modeste.

Mais aucun matelas financier. Aucune assurance. Aucun pouvoir de négociation réel.

Le moindre licenciement, la moindre crise de santé, la moindre hausse du loyer…

Et cette “classe” redevient invisible.


Les classes moyennes invisibles



Et pourtant, il y a des classes moyennes réelles, profondes, enracinées… mais qu’on ne regarde pas.



Le chef d’un GIE de femmes transformatrices à Kaolack.

Le jeune qui développe une chaîne de pressing dans les quartiers populaires.

La femme qui a transformé une pension de famille en mini-éco-lodge.

Le soudeur qui a acheté 4 terrains sans jamais ouvrir un compte bancaire.

Ceux-là ne rentrent pas dans les tableaux, mais ils construisent.

Lentement.

Solidairement.

Silencieusement.

Et souvent, sans chercher à imiter les codes urbains dominants.

« Le maçon qui ne parle pas est souvent celui qui a coulé les fondations. » — Proverbe bambara


Pourquoi ce mythe persiste ?



Parce qu’il est utile :

• Aux gouvernements qui veulent prouver qu’ils ont réussi.

• Aux marques étrangères qui cherchent un marché.

• Aux agences de développement qui doivent justifier leurs financements.

• Aux analystes qui veulent rassurer les investisseurs.

Et aussi… à certains Africains eux-mêmes, qui y voient un signe d’ascension, même fragile.



Mais un mythe utile reste un mythe.

Et s’appuyer sur un mirage finit toujours par provoquer une chute.


Le vrai enjeu : construire une classe bâtisseuse



L’Afrique n’a pas besoin d’une classe moyenne décorative.

Elle a besoin d’une classe bâtisseuse.

Pas forcément diplômée. Mais disciplinée.

Pas forcément urbaine. Mais organisée.

Pas forcément connectée. Mais stratégique.

Une classe de ceux qui produisent, qui épargnent, qui transmettent, qui investissent intelligemment.

Et qui ne courent pas après le lifestyle, mais après la solidité.


Définir une classe stratégique, pas une classe sociale



Et si on arrêtait de parler de “classe moyenne” comme d’un segment marketing ?

Et qu’on commençait à parler de classe stratégique ?

Celle qui détient un minimum d’autonomie, de réseau, de clarté sur ses choix ?

Celle qui peut décider, résister, proposer.

Et qui n’a pas besoin de validation extérieure pour exister.

Celle qui fait entendre sa voix sur ses propres médias. 


🔚 Conclusion : Moins de slogans, plus d’ancrage



La classe moyenne africaine ne sera pas celle des statistiques.

Elle ne sera pas celle des vitrines.

Elle ne sera pas celle des débats de surface.


Elle sera celle qui bâtit sans bruit,

celle qui s’organise entre les crises,

celle qui pense au prochain cycle, pas à la prochaine mode.


Et elle ne cherchera pas à être moyenne.

Elle cherchera à être solide, souveraine, et silencieusement ambitieuse.



Au Cercle des Almadies, nous croyons que la véritable ascension ne fait pas de bruit.

Et que le vrai pouvoir ne se mesure pas en apparence, mais en capacité à durer.


Et comme le dit un proverbe sénégalais :

« Le bruit du vent ne construit pas les murs. C’est la main qui les pose, brique après brique. »