Banques, mobile money, microfinances : qui finance vraiment l’économie sénégalaise ?
LR
Dans un pays où plus de 60 % de la population vit dans le secteur informel et où l’accès au crédit reste un parcours d’obstacles pour la majorité des entrepreneurs, une question fondamentale se pose :
qui finance réellement l’économie sénégalaise ?
Est-ce le système bancaire classique, les institutions de microfinance, ou les nouvelles plateformes de mobile money qui redessinent discrètement la carte financière du pays ?
Ce n’est pas une simple question technique. C’est une question politique, sociale et stratégique.
Les banques : solides, liquides… mais peu accessibles
Le secteur bancaire sénégalais est parmi les plus dynamiques de la sous-région.
Les grands groupes y sont bien implantés : CBAO, Société Générale, UBA, Ecobank, BOA. Leurs bilans sont solides. Leurs bénéfices croissants. Leur présence dans les centres urbains affirmée.
Mais derrière cette façade de stabilité, une réalité s’impose :
les banques financent principalement l’État, les grandes entreprises, et l’import-export.
Peu ou pas d’intérêt pour les PME locales, encore moins pour les jeunes entrepreneurs ou les industriels naissants.
Avec des taux d’intérêt oscillant entre 8 et 12 %, des garanties souvent inaccessibles, et des délais administratifs étouffants, le crédit bancaire reste une illusion pour une majorité de Sénégalais.
La microfinance : espoir populaire ou plafond de verre ?
Avec plus de 2 millions de clients, les institutions de microfinance (IMF) comme ACEP, CMS, U-IMCEC ou PAMECAS, jouent un rôle crucial d’inclusion financière.
Elles offrent des petits crédits, de la proximité, parfois un accompagnement.
Elles sont particulièrement présentes dans les zones rurales, chez les femmes, les petits commerçants, les artisans.
Mais elles aussi ont leurs limites :
• Taux d’intérêt élevés (15 à 25 %)
• Capacité de financement limitée
• Surcharge de dettes pour certains clients non formés à la gestion
La microfinance finance la survie, rarement la croissance.
Le mobile money : la révolution silencieuse
C’est la grande surprise de la dernière décennie.
Orange Money, Wave, Free Money… ont bouleversé les usages : plus de 10 millions de portefeuilles mobiles actifs, des milliers d’agents partout dans le pays.
Ce sont eux qui ont démocratisé les paiements, les transferts, les mini-épargnes.
Le tout, sans bureaucratie, sans frais bancaires excessifs, sans costume-cravate.
Mais jusqu’ici, le mobile money reste un outil transactionnel. Il ne finance pas encore l’économie productive, faute de lien avec le crédit, l’investissement ou l’assurance.
La prochaine étape ? La fusion entre fintech, mobile banking et microcrédit digital.
Et l’État dans tout ça ?
L’État sénégalais lui-même est le plus gros emprunteur du pays.
Il draine une part majeure de la liquidité bancaire à travers des obligations, bons du Trésor, emprunts UEMOA.
Ce phénomène, appelé “effet d’éviction”, fait que les banques préfèrent financer l’État que les PME, car c’est moins risqué.
Résultat ?
• L’État finance sa consommation
• Les banques se rémunèrent sur la dette publique
• Et l’économie réelle étouffe, privée de capital patient
Conclusion : il est temps de reconfigurer les flux financiers
Aujourd’hui, ceux qui financent l’économie sénégalaise sont ceux qui la maintiennent en survie, pas ceux qui la transforment.
Pour changer cela, il faudra :
• Des fonds d’investissement locaux et sectoriels
• Une bancarisation de la transformation industrielle
• Une intégration du mobile money dans le crédit productif
• Et une éducation financière massive, dès l’école
Car l’argent circule au Sénégal. Mais il ne fertilise pas encore.