Industrialisation du Sénégal : on y croit ?
L'industrialisation est un mot utilisé par trop de personnes qui ne savent pas - parce qu'ils ne l'ont jamais vécu de l'intérieur - ce que signifie réellement mettre en place des usines.
Pas même les cabinets sénégalais qui conseillent sur l'industrialisation.
Et c'est cela le premier problème que rencontre le gouvernement du Sénégal.
👉Pour faire simple, pour industrialiser, il faut une seule chose au départ : des industriels.
Le Sénégal doit trouver ses industriels, en masse, pas juste des exceptions. Or, les industriels n'arrivent jamais par hasard. Ils arrivent parce que 4 conditions sont réunies.
✅La 1ère d'entre elles est le retour sur investissement du capital investi : donc il faut minimiser les charges qui pèsent sur eux, entre le poids de la chose publique (fonctionnement intrinsèque de l'état) et la fiscalité.
✅La 2eme est l'énergie : l'accès à l'énergie et le coût de l'énergie
✅La 3ème ce sont les compétences : des personnes soit déjà formées soit faciles à former
✅La 4ème est la logistique, c'est à dire la capacité à déplacer des choses sur diverses distances, parfois des choses lourdes.
Remarquez que dans tous les discours politiques, le seul point évoqué est toujours la fiscalité et les allègements fiscaux.
Soit.
Pré-requis à l'industrialisation du Sénégal
Baisser les charges sur les industriels pour assurer la rentabilité du capital investi
Pour comprendre comment le Sénégal peut s'industrialiser, je propose de regarder comment un pays industrialisé peut se désindustrialiser progressivement.
👉Prenons donc un exemple facile : la France.
A l'heure où j'écris ces lignes (en 2025), le discours ambiant dans les milieux politiques et intellectuels est que la France doit se réindustrialiser. Ils entendent en réalité "La France doit rappatrier ses usines en France", ce qui n'est pas tout à fait pareil.
Cette nuance fait toute la différence dans la compréhension du sujet.
Il existe un indice boursier, qui s'appelle MSCI (Morgan Stanley Capital International), qui mesure la capitalisation boursière de toutes les sociétés industrielles en Europe.
Les valeurs françaises dans cet indice sont très supérieures à celles de l'Allemagne (28% contre 22%), que l'on compare souvent à la France.
Pourquoi? Car en réalité, la France possède encore une grande puissance industrielle avec des entreprises très fortes comme Schneider, Air Liquide, etc.
Cependant Schneider, qui est le champion mondial de l'électrique, ne fait que 5% de son chiffre d'affaires en France, et la raison est la suivante :
❌Le capital investi sur le sol français rapporte 50% moins que celui investi dans d'autres pays. A cause du poids des charges et de la fonction publique.
Pourquoi un industriel s'installerait dans un pays où le capital investi est moins rentable qu'ailleurs?
La question de l'industrialisation du Sénégal - ou plutôt son manque d'industrialisation - doit se ramener à cette seule question.
Très simple.
Remarquons que nous n'avons même pas encore commencé à parler des autres paramètres que la décision du futur industriel est quasiment déjà prise.
✅Ce que l'état sénégalais doit afficher, c'est donc le calcul de la rentabilité du capital que les futurs industriels vont avoir.
Sortir du FCFA peut contribuer à baisser les coûts de production et augmenter la productivité des usines sur le sol sénégalais
- Taux de change plus compétitif = coût de production plus bas
Une monnaie nationale flottante ou dévaluée rend les salaires et les intrants locaux moins chers en devises étrangères. Par exemple : Une usine textile étrangère pourrait préférer produire à Dakar si la nouvelle monnaie nationale rend les coûts 30 % plus faibles qu’en zone euro ou CFA.
👉Cela attire les industriels tournés vers l’export.
2. Flexibilité monétaire = meilleur pilotage économique
Avec une monnaie maitrisée (politique monétaire existante réellement et par conséquent une politique financière), il devient possible d’accorder des incitations ciblées (taux préférentiels, crédit public, soutien à l’export).
Si bien gérée, la nouvelle banque centrale peut stabiliser l’environnement industriel local, en réponse rapide aux crises ou besoins sectoriels.
👉Cela attire les industriels locaux ou africains, qui cherchent des pays capables de s’adapter.
3. Reprise du contrôle sur la politique douanière et industrielle
Il deviendra possible de mettre en place des vraies politiques de substitution à l’import, ou d’exonérer certains biens d’équipement.
Exemple : exonération de TVA ou taxe zéro sur les machines-outils importées par les industriels.
Pour être plus clair, le Sénégal peut déjà le faire sous forme de dérogation demandée à l'UEMOA, mais il ne peut pas en faire une politique industrielle massive, car les règles sont fixées au niveau de l'Union, qui elle-même est dans le cadre du FCFA.
👉Cela attirera les investisseurs ancrés dans la durée, soucieux de prévisibilité et de logique industrielle.
❌ Mais attention : certains types d’industriels pourraient fuir une sortie du CFA. Mais vous allez comprendre que nous ne voulons pas de ce type d'investisseurs si on s'inscrit dans la relle création de richesse sur la durée
1. Industriels à cycle court / à retour rapide sur investissement
Ceux qui cherchent stabilité monétaire, convertibilité facile, transferts internationaux rapides.
Si la sortie du CFA est mal préparée (ex : contrôle des changes, instabilité, double taux), ils peuvent craindre l’illiquidité ou les blocages.
🎯 Exemple : entreprises de trading industriel, équipementiers court-terme, importateurs.
2. Les multinationales européennes ou institutions habituées au CFA
Le FCFA est vu comme une zone "stable", prévisible, “européanisée”.
En sortir, c’est sortir de cette zone de confort administrative et juridique.
Cela nécessite pour elles de changer leurs modèles financiers et comptables.
🎯 Certaines fuiront, sauf si le pays propose un climat des affaires encore plus attractif.
Pas d'industrialisation au Sénégal sans une énergie abondante à un prix compétitif
La feuille de route Sénégal Vision 2050 montre clairement que les ambitions industrielles du pays sont trop faibles.
👉Prenons l'exemple de la puissance installée d'ici 2050. Sauf erreur de ma part, le document cité parle de 10 000 MW.
D'après mes calculs, il faudrait viser plutôt 350 000 MW. J'ai eu ce débat avec des Sénégalais qui m'ont tout de suite répondu : "même en France on est à 120 000 MW, donc ton chiffre est aberrant".
❌Retenez bien que la France a certes des entreprises industrielles championnes, mais elle n'est pas industrialisée sur son sol et dans son PIB.
Cependant, au-delà de la comparaison avec la France, je vous livre mon raisonnement.
Le Sénégal compte environ 1 000 entreprises industrielles. Soit 1 entreprise industrielle pour 18 000 habitants.
Il est admis qu'un pays industrialisé, c’est globalement 1 entreprise industrielle pour 3 000 habitants.
Par conséquent, il faut multiplier le nombre d’entreprises industrielles par 6 : soit 6 000 entreprises industrielles.
✅Au début de la phase d'industrialisation, les entreprises seront du type industrie lourde (donc très consommatrice d'énergie), ensuite la valeur ajoutée va se déplacer vers l'aval du flux de production (produits finis avec plus de valeur ajoutée, plus de besoin de compétences mais avec moins de besoin d'énergie).
👉Voici quelques idées de chiffres de puissance nécessaire pour faire tourner des usines :
- Data Center = 100 MW
- Renault à Tanger = 50 MW
- Papeterie, chimie, plasturgie, sidérurgie = 100 MW par site
- Aciérie, cimenterie = 100 MW minimum par site
- Usine d’aluminium de Dunkerque = 100 MW
- Usine d’assemblage de 20 000 véhicules / an = 3 MW (aval du flux de production)
Je pose donc l'hypothèse qu'en moyenne il faudra 70 MW par entreprise, entre les entreprises très consommatrices d'énergie et les moins consommatrices d'énergie.
✅La conclusion est qu'il faut 350 000 MW (70 MW X 5 000 entreprises) pour industrialiser le Sénégal d'ici 2050.
❌Très loin de l'ambition des 10 000 MW de la VISION 2050.
Quant au rythme de création d'usines, je retiens un chiffre : entre 1945 et 1965, en Chine s'est créées en moyenne 200 entreprises par année. Ce qui amène aux 5 000 entreprises industrielles à créer au Sénégal d'ici 2050, soit en 25 ans.
Nous devons être aussi ambitieux que ceux qui ont réussi ce même exploit.
Les compétences et la formation au Sénégal sont-elles suffisantes pour industrialiser le pays ?
Oui.
Le Sénégal a une formation théorique jusqu'au BAC de bonne facture. Après le BAC, les problèmes commencent.
Cependant, ma vision de l'éducation nécessaire pour industrialiser le pays, que je vais vous livrer dans cet article, n'a rien de classique.
✅ 2 est le chiffre à retenir.
Nous devons diviser le temps de formation des ingénieurs et des techniciens par 2, en augmentant d'une part le temps d'études dans une journée, et d'autre part en enlevant les parties théoriques inutiles pour être performant dans l'industrie.
👉J'ai une formation Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (Maths Sup - Maths Spé pour les initiés) suivi d'une Ecole d'ingénieur (ISAE-ENSMA pour les connaisseurs du système français).
Je ne pense pas être à côté de la plaque en affirmant que 50% de ce que j'ai appris aurait pu ne pas m'être enseigné, cela n'aurait pas changé ma performance.
A l'inverse, beaucoup de choses qui ne m'ont pas été enseignées et que j'ai apprises seul en ligne m'ont permis de surperformer d'autres personnes qui n'ont pas fait la même démarche.
❌Nous perdrons du temps en essayant de répliquer un modèle qui s'essouffle de plus en plus dans les pays développés, avec l'avènement de la digitalisation et de l'intelligence artificielle. L'élite sénégalaise ne l'a pas compris car elle considère encore qu'être formé à l'école française est toujours le Saint-Graal.
Aujourd'hui, je crois que les meilleures formations de base nécessaires pour être performant dans une entreprise industrielle sont déjà disponibles en ligne : nous devons juste les organiser.
✅L'investissement financier sur l'éducation devient alors très faible car ne nécessitant pas de construire des écoles classiques, mais plutôt des Fablab pour faire des exercices pratiques et des projets industriels, les cours théoriques pouvant être dispensés à distance si besoin.
Dans le futur, ces mêmes FABLAB seront probablement les incubateurs des futures entreprises championnes industrielles sénégalaises.
👉Industrialiser, si l'on revient au sens littéral du terme, suivrait 2 étapes :
- d'abord réussir manuellement ou artisanalement à faire ou fabriquer quelque chose
- ensuite arriver au même résultat avec un process dit "industriel" pour augmenter le volume.
Pris comme ça, n'importe qui peut être un industriel, encore faut-il que tout le monde en soit conscient.
Pour l'instant, nous sommes très loin du compte.
La logistique et la Supply Chain comme supports à l'industrialisation
Le propre de l'industrie est de transformer la matière. Pour cela, dans les usines se passent un balet incessant, des flux physiques mais aussi d'informations.
👉Un industriel aguerri n’entre jamais dans une usine par hasard. Il commence par regarder les accès :
- Comment les camions entrent ?
- Comment sortent-ils ?
- Y a-t-il des conflits de flux ?
- D'où vient la matière première, les matériaux et les outillages ?
- Y a t il des ponts suspendus en hauteur pour faire du levage? Quel est le poids maximum qu'on peut déplacer d'un poids A à un point B ?
Ces éléments lui donnent plus d’informations que n’importe quelle brochure.
👉Puis il observe les allées :
- Leur encombrement
- Le rangement
- Les traces d’usure
👉Ensuite, il cherche à sentir le niveau de management et de supervision :
- les dates sur les tableaux d'affichage sont-elles à jour
- Les consignes sont-elles suivies ?
- Les machines s'arrêtent-elles souvent?
✅Il veut savoir si les flux physiques sont aussi maîtrisés que les flux d’information. Donc il pose des questions pour palper le niveau de cohérence entre les 2.
Car une usine où l’on communique mal finit toujours par s’arrêter.
👉Enfin, il regarde le positionnement physique des en-cours et des stocks. Il ne regarde pas seulement devant lui, il regarde aussi en hauteur : si la hauteur est exploitée, il soupçonne des probèmes de place au sol, peut-être une future extension de l'usine ?
L'industriel expérimenté a une carte mentale dans son cerveau dont il n'est plus très conscient.
✅La logistique, la Supply Chain, le Lean Management et l'animation de la performance industrielle, tel que le fait l'industriel expérimenté, sont des éléments supports à l'industrialisation dans le sens où la gestion opérationnelle d'usine est un réel facteur de succès ou d'échec des usines déjà implantées.
En revanche, ce n'est pas un facteur limitant lorsqu'on est à la phase actuelle du Sénégal, surtout ce n'est pas la responsabilité de l'état mais de l'industriel. Tout l'écosystème support à l'industrialisation se mettra naturellement en place.
Ce que révèle une usine : gestion, anticipation, mentalité
Un site industriel bien géré, c’est un site où l’on pense l’invisible.
Pas seulement la production, mais le stockage, la maintenance, l’anticipation des ruptures.
La gestion opérationnelle d'une usine se fait avec 2 principes fondamentaux : l'anticipation des prochains jours et des prochaines semaines, et l'animation de la performance des jours et des semaines qui viennent de s'écouler.
La vision, quant à elle, se construit sur les 5 ans qui viennent. L’erreur la plus courante dans l’industrie au Sénégal ? Ne pas penser grand dès le départ.
Trop d’usines s’arrêtent à cause de petits choix faits trop vite :
- des fournisseurs peu fiables
- une alimentation électrique sous-dimensionnée
- une absence de stock tampon pour les matières premières
Dans ce métier, l'arrêt machine est plus qu’un défaut technique. C’est une faille stratégique.
Où investir dans l’industrie au Sénégal ?
La méthode pour trouver les endroits où investir au Sénégal est la suivante :
Le plan général du gouvernement du Sénégal
Lisez le plan du gouvernement SENEGAL VISION 2050. Si vous ne le trouvez pas, abonnez-nous à ma lettre privée puis demandez-le moi par retour de mail, je vous l'enverrai.
Dans ce plan, vous observerez une volonté de découpage du territoire en plusieurs points d'intérêt avec une spécialisation dans chaque zone. Cette spécialisation est liée aux ressources les plus abondantes dans cette zone, ce qui est un bon point de départ.
Le rapport importations-exportations
Ce que le pays exporte peut être considéré comme une ressource en abondance, donc facile à approvisionner. Et ce que le pays importe est ce qu'il faut fabriquer sur place pour satisfaire une demande intérieure.
Faites un rapprochement entre le plan général du gouvernement et la réalité des chiffres. Il n'y a pas de religion, juste du bon sens.
C'est comme en trading, il faut trader la tendance, même si beaucoup de traders gagnent beaucoup d'argent en tradant contre la tendance. Je ne sais pas si l'exemple vous parle.
Réalités locales
Rendez-vous physiquement dans les endroits que vous avez repérés et faites savoir aux autorités locales, aux habitants, à qui veut bien l'entendre votre volonté d'en savoir plus et éventuellement d'investir.
Les sénégalais aiment rediriger vers telle ou telle personne. Ce travail de terrain est indispensable pour anticiper les difficultés que vous allez avoir.
En fonction de la décision que vous avez pris, plusieurs chemins sont possibles, donc je ne les détaille pas tous ici, mais vous pouvez toujours m'écrire pour continuer la discussion : utiliser l'onglet Contact de ce site.
Revenons à l'industie. Les industriels discrets n’attendent pas les appels d’offres. Ils achètent du foncier industriel avant que la zone ne prenne de la valeur.
Ils regardent la logistique :
- Peut-on s’étendre ?
- Où habite le personnel ?
- Quelles routes seront rénovées ?
- Y a-t-il une proximité stratégique avec un port, une autoroute, un aéroport ?
Ils ne cherchent pas à faire le buzz. Ils cherchent la cohérence industrielle sur 5 à 10 ans.
Comme eux, vous pouvez trouver les endroits où investir au Sénégal assez facilement en appliquant les 3 points cités pour commencer.
L’avenir de l’industrie sénégalaise ne se joue pas aux Almadies, ni à Dakar-Plateau
Le cœur industriel du Sénégal se déplace :
vers Diamniadio, vers la Petite-Côte, vers Rufisque, vers les zones logistiques encore sous-évaluées. L'idée du gouvernement est de mettre en place des Zones Economiques Spéciales.
Et dans ces zones, de nouveaux acteurs apparaissent.
Pas ceux que l’on attend. Pas ceux que l’on invite à la télé.
Ce sont souvent des profils hybrides : anciens ingénieurs, entrepreneurs locaux et de la diaspora, ou familles silencieuses qui réinvestissent intelligemment leur patrimoine.
Ils ne cherchent pas à séduire. Ils cherchent à tenir dans le temps.
Conclusion : lisez entre les hangars
Le développement industriel du Sénégal est en cours.
Mais il n’est pas encore documenté. Il est observable.
À condition de savoir où regarder.
À l’ombre d’un entrepôt trop silencieux, il se peut qu’un empire soit en train de naître.
Cela est bon signe.
Toutefois, l'ambition du gouvernement du Sénégal doit être beaucoup plus forte pour attirer les industriels : certains chiffres doivent être revus comme la projection de puissance installée. D'autres chiffres doivent être plus clairement affichés comme celui de la rentabilité du capital investi.
👉 DANS LA LETTRE PRIVEE, je vous partage :
La grille que j’utilise pour juger un site industriel en 15 minutes.
Les 2 zones foncières que je surveille personnellement.
Et les erreurs invisibles que je vois encore trop souvent dans l’industrie africaine.
👉 REJOIGNEZ LA LETTRE PRIVEE pour apprendre à reconnaître les signaux faibles qui font la différence.