Faut-il investir dans la dette du Sénégal quand on est Sénégalais ?
LR
Le gouvernement Sonko du Sénégal vient de lancer, en cette année 2025, son premier emprunt obligataire par appel public à l’épargne, pour un montant de 150 milliards FCFA, sous la houlette du Ministère des Finances, avec Invictus Capital comme arrangeur. L’opération est ambitieuse. Elle se veut citoyenne. Et elle interpelle.
Derrière le langage feutré de la communication financière — “placement sécurisé”, “rendement attractif”, “participation au développement économique” — se pose une question plus brute :
est-il sain que l’État sollicite à nouveau les poches de ses citoyens pour financer son déficit ?
Un outil classique, mais à double tranchant
Ce type d’opération n’est pas nouveau. Le Sénégal a régulièrement recours à la dette domestique via le marché régional UEMOA, un marché où l’endettement reste plus souple qu’à l’international. En soi, c’est une démarche légitime : mobiliser l’épargne locale, offrir un rendement aux investisseurs, éviter la dépendance aux eurobonds en devises étrangères. C’est aussi une marque de confiance envers le marché régional.
Mais derrière l’argumentaire, le fond du problème demeure : pourquoi l’État a-t-il besoin de lever 150 milliards de francs CFA ? Où vont aller ces fonds ? Et surtout, que finance-t-on exactement : la transformation du pays, ou les urgences d’un budget sous tension ?
Des signaux d’alerte à ne pas ignorer
Le Sénégal dépasse déjà les 70 % de dette publique rapportée au PIB, seuil d’alerte dans la zone UEMOA.
Le service de la dette — intérêts + remboursement — est désormais le deuxième poste de dépense publique, devant l’éducation.
Alors que les recettes fiscales stagnent, que la masse salariale publique enfle, et que les subventions plombent le budget, ce nouvel emprunt peut apparaître comme une fuite en avant bien emballée.
Et tant que les précédents emprunts ne génèrent pas eux-mêmes de la richesse productive, la dette reste… de la dette.
Une opportunité, si elle est bien utilisée
Soyons justes : la dette n’est pas un mal en soi. Elle devient toxique lorsqu’elle ne finance pas l’avenir.
Si les 150 milliards sont injectés dans :
• Des infrastructures stratégiques bien gérées
• Des agropoles, des chaînes de valeur locales, des hubs industriels
• L’éducation numérique, la souveraineté alimentaire, la transition énergétique…
Alors oui, ce serait un emprunt utile.
Mais si ces milliards ne servent qu’à payer les charges fixes, rembourser d’anciennes dettes, ou alimenter des projets sans gouvernance claire, l’opération n’est qu’un répit artificiel.
Un devoir de transparence
Ce qui manque cruellement dans cette opération, ce n’est pas la rentabilité annoncée, mais la clarté de l’affectation des fonds.
Les investisseurs potentiels — qu’ils soient entreprises, institutions ou particuliers — doivent connaître les détails ce qu’ils financent, et dans quelle mesure leur argent contribuera à la création de valeur réelle.
L’État doit publier :
• Un document de cadrage stratégique clair
• Un tableau de suivi public des projets financés
• Une analyse d’impact prévue
Sinon, comment parler de “participation au développement économique” ?
En conclusion : confiance conditionnelle
Ce nouvel emprunt n’est ni une catastrophe, ni un miracle.
C’est un outil, que l’on peut saluer s’il sert l’intérêt national à long terme. Mais c’est aussi un signal, celui d’un État qui continue à vivre à crédit, en l’absence d’une véritable réforme fiscale, d’un budget productif, et d’une vision industrielle claire.
À ceux qui souscrivent, nous disons : investissez si vous croyez dans la trajectoire du pays. Mais exigez la transparence. Exigez les résultats.
Car participer au financement d’un État est un acte noble, mais ce n’est pas un chèque en blanc.